Les quatre accords toltèques

En 1997, Don Miguel Ruiz a publié « Les quatre accords toltèques », ouvrage devenu depuis un best-seller. Incontournable pour certains, « tarte à la crème » pour d’autres, le livre a au moins le mérite de vulgariser en 120 pages un sujet important pour les managers, celui de la relation à soi et aux autres. L’origine chamanique des 4 accords toltèques et certains passages peuvent paraître un peu mystiques, mais le message général est tout à fait pertinent. Dans cet article, nous passons en revue ces quatre accords en faisant un parallèle avec les concepts qu’ils recouvrent.

Que votre parole soit impeccable

Comme le précise Don Miguel Ruiz, le premier accord toltèque est à la fois le plus important et le plus exigeant. Le plus important, car tous les autres accords découlent de celui-ci. Le plus exigeant, car il implique une forte maîtrise de soi et de ses mécanismes de défense.

Ce premier accord est : « Que votre parole soit impeccable ».

Lorsque Don Miguel Ruiz utilise le terme « parole », il veut certainement parler du langage dans son sens large, c’est à dire de la fonction qui nous permet d’exprimer notre pensée et de communiquer avec les autres. Les personnes qui n’ont pas accès à la parole en tant que langage articulé, utilisent en effet d’autres moyens pour communiquer. Et comme tout le monde, le font plus ou moins « impeccablement ».

Le langage est au centre de nos rapports sociaux. Sans lui, la coopération humaine ne serait pas possible. Tout ce que l’humanité a produit a nécessité une forme de communication, qu’elle soit verbale, écrite, graphique ou gestuelle. Mais le rôle du langage ne s’arrête pas à la dimension interpersonnelle, nous l’utilisons également pour élaborer notre pensée. Hegel disait d’ailleurs : « c’est dans les mots que nous pensons ». Nous utilisons le langage pour nous parler à nous-même, pour mémoriser des informations et pour élaborer des solutions.

Le langage occupe une place centrale dans nos vie, il est donc essentiel d’y accorder de l’attention. Car s’il est créateur, il peut aussi s’avérer destructeur. L’hypocrisie, les critiques et les accès de colère peuvent avoir des effets désastreux sur les autres et sur nous-même. Et ce premier accord nous invite à en prendre conscience. Avoir une parole impeccable, c’est tout simplement chercher à en faire un instrument d’épanouissement plutôt qu’une arme de destruction.

Cependant, si l’intérêt de cet accord toltèque paraît évident, son application l’est beaucoup moins. Car notre comportement et donc notre « parole », reposent en grande partie sur des processus inconscients, qui s’activent de façon automatique. Dès lors, comment agir dessus ? L’auteur évoque rapidement deux pistes. Elles sont proches de la thèse que Will Schutz développe dans l’Élément Humain : il s’agit du renforcement de l’estime de soi et du concept de Vérité.

L’estime de soi influence fortement le comportement humain. Une personne qui rejette une partie d’elle-même est susceptible de se livrer à la médisance, au blâme de soi ou à la victimisation. Il s’agit de processus inconscients appelés mécanismes de défense. Nous les utilisons malgré nous pour soulager temporairement un sentiment négatif que nous ressentons à propos de nous-même. Il y a donc effectivement un lien entre l’estime de soi et la façon dont nous nous comportons. Alors dans ce cas, comment renforcer l’estime de soi ?

Tout d’abord, l’environnement dans lequel nous évoluons peut y contribuer. Si les personnes de notre entourage ont une « parole impeccable », nous serons plus susceptibles d’apprécier « qui nous sommes » et nous adopterons nous-même plus facilement des comportements vertueux. Au contraire, une atmosphère tendue dans une équipe produit des effets délétères sur ses membres. Les comportements négatifs entraînent souvent des réactions négatives. Et ce cercle vicieux peut avoir un impact considérable sur la santé mentale et physique des personnes concernées. Sans parler de la qualité de leur travail…

Il serait toutefois un peu facile de justifier nos propres écarts par le mauvais comportement d’autrui ! Nous sommes responsables de notre « parole ». Il faut donc trouver une voie intrapersonnelle pour renforcer l’estime de soi et ainsi, mettre en sourdine nos mécanismes de défense. La principale difficulté est que l‘estime de soi repose sur une sorte de programmation interne inconsciente qui par nature, nous échappe totalement.

Pour pouvoir agir dessus, il faut donc développer la conscience de soi : être à l’écoute de ses ressentis, observer son propre comportement et identifier ses envies. Le regard que les personnes qui nous entourent portent sur nous peut aussi nous y aider, s’il est communiqué au travers d’un feedback constructif. La Fenêtre de Johari, modèle créé par les psychologues Joseph Luft et Harrington Ingham, explique très bien ce principe.

Mais il y a un obstacle au développement de la conscience de soi : le déni. Il s’agit d’un refus inconscient d’accepter une réalité que nous ne supportons pas. Et l’antidote évoqué par Don Miguel Ruiz est la vérité. La vérité commence lorsque l’on est sincère avec soi-même et donc que l’on accepte d’ouvrir les portes de la conscience de soi. Encore une fois, il ne s’agit pas de se juger, mais de comprendre la façon dont on fonctionne. Rappelez-vous : il faut toujours veiller à avoir une « parole impeccable » vis-à-vis de soi-même !

La vérité s’étend ensuite à ce que l’on dévoile aux autres, à l’authenticité et à la transparence. La peur du jugement d’autrui peut amener une personne à cacher ou à déformer la vérité sur elle-même et ce qu’elle ressent. Pourtant, les non-dits et la tromperie sont de véritables poisons dans les relations. Ces comportements compliquent les relations, tuent la confiance et font obstacle à la coopération. Au contraire, la vérité simplifie les relations. Elle facilite l’empathie, permet le progrès collectif et améliore la qualité des interactions.

Quoi qu‘il arrive, n’en faites pas une affaire personnelle

Une fois que l’on a compris le fonctionnement des mécanismes de défense, il est déjà plus facile de faire la part des choses. Lorsque l’on est confronté à une personne qui réagit de façon défensive, on peut alors supposer qu’elle est dépassée par ses ressentis à propos d’elle-même et que nous n’avons pas grand-chose à voir avec cela.

Plus généralement, chaque individu a des préférences propres en ce qui concerne la façon d’être en relation avec autrui. Par exemple, certaines personnes apprécient les contacts nombreux, d’autres aiment la solitude. De même, on peut apprécier de se laisser se guider par les autres ou préférer « avoir le contrôle », accepter de s’ouvrir aux autres ou préférer ne pas se dévoiler. Ces différences peuvent créer des malentendus :

Pourquoi ne m’appelles-tu jamais ?
Pourquoi veux-tu toujours décider ?
Pourquoi n’alertes-tu pas lorsque tu te sens dépassé.e ?

Vous l’aurez compris, personne n’est en cause dans cette affaire, ce sont seulement les préférences qui sont incompatibles.

De la même façon, nous avons tous des valeurs et des points de vue qui nous sont propres et qui ne sont pas nécessairement identiques à ceux de nos collègues ou de notre entourage. Et cela débouche parfois sur un désaccord. Si l’un des protagonistes en fait « une affaire personnelle », il risque fort de devenir sourd aux arguments de l’autre partie. Le désaccord se transformera alors en conflit, et si les deux parties font preuve de rigidité, la résolution commune du problème deviendra impossible. C’est d’ailleurs l’un des principes de base de la négociation raisonnée, imaginée par Roger Fisher et William Ury, enseignants à Harvard.

Mais Don Miguel Ruiz va plus loin : il invite à appliquer cet accord lorsque l’on pense à soi-même. En effet, les jugements que l’on porte sur soi provoquent parfois des souffrances. Or, il n’est pas nécessaire de se faire souffrir pour prendre conscience et progresser. Si votre esprit se parle à lui-même, demandez-lui simplement de respecter le premier accord toltèque !

Ne faites pas de supposition

Nous passons notre temps à nous raconter des histoires sur les autres et sur nous-même. Nous essayons d’interpréter les signes que nous percevons pour savoir ce que les autres pensent. Puis nous réordonnons nos stimulus et nos ressentis pour leur donner un sens cohérent. Tout cela nous permet de construire un récit de notre expérience. Pourquoi ? Tout simplement parce que nous mémorisons mieux les histoires et qu’elles nous permettent de faire des choix et de nous adapter rapidement. Cela a rendu bien des services à nos lointains ancêtres et nous en avons hérité.

Cependant, ces histoires ne sont pas fidèles à la réalité. Dans son livre Système 1, Système 2, Daniel Kahneman explique à quel point le moi mémoriel, qui correspond à ce que nous mémorisons après les événements, peut être différent du moi expérimentant, celui qui vit dans l’instant présent. Si l’on ajoute la multitude de biais cognitifs auxquels nous sommes soumis au cours d’un événement, on se rend compte à quel point nos histoires intérieures peuvent être éloignées du réel.

Par conséquent, si nous faisons instinctivement des suppositions, nous ne devrions pas les considérer comme vraies, même si elles paraissent cohérentes. Ce 3ème accord toltèque « Ne faites pas de supposition », nous invite donc à prendre du recul sur nos croyances et à ne pas chercher à anticiper les besoins, les capacités ou les réactions d’autrui. De même, les suppositions que nous faisons sur nous-même peuvent nous amener à prendre de mauvaises décisions, en particulier lorsque nous surestimons ou sous-estimons notre potentiel.

Pour éviter de se laisser embarquer par nos récits, le remède est simple : en parler ! En révélant aux personnes concernées les histoires que nous nous racontons, en se confiant sur nos ressentis, nos doutes, nos craintes et en écoutant réellement les autres s’exprimer, nous pouvons sortir du piège des suppositions. L’ouverture est la clé des relations saines et des collaborations efficaces. Sans ouverture, nous restons prisonniers de nos histoires intérieures.

Faites toujours de votre mieux

Le quatrième accord permet d’ancrer les 3 autres. Il est à la fois simple et exigeant et laisse la place à l’indulgence. Cet accord est : « Faites toujours de votre mieux ».

Faire de son mieux ne veut pas dire rechercher la perfection absolue. C’est être à l’écoute de ses limites et accepter leur caractère variable : nous n’avons pas les mêmes capacités d’un jour à l’autre ! Une fois nos limites identifiées, il faut chercher à s’en approcher. Mais sans les dépasser, car nous gaspillerions alors inutilement notre énergie et pourrions être déçu du résultat.

Faire de son mieux, c’est s’engager pleinement dans ce que nous faisons. Si l’on ne fait pas de son mieux, on laisse la place à la frustration, à l’autocritique, à la culpabilisation et au regret. Nous avons généralement le choix (plus que nous le croyons !) de faire les choses ou pas, d’accepter ou de refuser. Lorsque l’on est guidé par nos valeurs, nos choix deviennent évidents et notre engagement est moins coûteux que lorsque l’on n’est pas en accord avec soi-même.

Qu‘est-ce qu’un manager peut retenir de tout cela ?

La qualité des relations dépend de l’estime de soi des personnes impliquées. Lorsque celle-ci est suffisante, les personnes ont tendance à adopter des comportements positifs entre elles, ce qui crée un cercle vertueux. Sinon, leurs mécanismes de défense peuvent prendre le dessus et rendre les relations de plus en plus difficiles. Il est donc essentiel pour les managers de veiller à la qualité des relations au sein de leur équipe et de mettre en place une organisation qui renforce l’estime de soi.

Les leviers individuels qui permettent d’améliorer le comportement relationnel passent par le développement de la conscience de soi et de l’ouverture. Pour les managers, cela implique notamment d’installer un climat de confiance et d’authenticité et de développer la culture du feedback au sein de l’équipe. Chacun pourra ainsi rendre sa parole « impeccable ».

En plus de ces réactions défensives, des malentendus peuvent survenir lorsque des personnes qui travaillent ensemble ont des préférences différentes, notamment en ce qui concerne la quantité de contacts, la prise en charge de la collaboration ou la profondeur des échanges. De même, les différences de valeur ou de point de vue peuvent créer des conflits. Pour éviter les tensions, il est important de toujours distinguer les personnes de leurs rôles. Les managers devraient aussi veiller à ce que l’organisation et la vie du service soient compatibles avec la personnalité des collaborateurs.

Gérer une équipe implique certaines aptitudes relationnelles, en particulier en ce qui concerne la communication. Les quatre accords toltèques ont le mérite de poser quelques bases et d’apporter des conseils très simples et pleins de bon sens. Pour aller plus loin, il sera toutefois nécessaire d’explorer d’autres concepts. Une dernière règle pour progresser : soyez sceptique, mais apprenez à écouter. Oui, c’est bien le cinquième accord toltèque !